04 mai 2008

Louis Delgrès: vivre libre ou mourir

Vivre libre ou mourir... Quelle belle phrase rappelant les idéaux révolutionnaires de 1789-1792 comme avec le discours de Danton ou encore la résistance sous l'occupation allemande.
Il y a un autre discours qui est resté bien moins connu du grand public: celui de Louis Delgrès de l'an de grâce mille huit cent deux où se déroula un véritable drame en Guadeloupe.Le 4 Février 1794, l'esclavage est aboli dans la république française et ses colonies mais rapidement l'élan progressiste de la révolution française s'essouffle.
En Guadeloupe, les esclaves noirs devenu libre servent loyalement la République, certains obtiennent des grades officiers dans l'armée même si on déplore des exactions. Beaucoup de colons blancs devront s'enfuir en Martinique qui a rallié les royalistes. Ceux ci ont livré l'ile aux Anglais et n'est pas soumises aux lois révolutionnaires . Ceci explique d'ailleurs le maintien de nos jours d'une importante aristocratie blanche appelée Béké là bas.
Quand Napoléon Bonaparte s'empare du pouvoir, il n'est plus pétri de la philosophie des "lumières" comme pouvait l'être les premiers révolutionnaires. Surtout il est marié à Josephine Beauharnais, une aristocrate blanche de Martinique dont l'intérêt est la restauration de l'esclavage.
En 1802, le futur empereur décide de rétablir l'esclavage dans les colonies et envoie le général Richepanse imposer ses vues.
Delgrès, un métis, est alors commandant de la forteresse de Basse Terre et se révolte. Comment accepter de passer d'un statut d'homme libre à celui d'esclave, lui, un sans culotte?
Après quelques timides succès dans le Sud de la Basse Terre, Delgrès et ses hommes, submergés par le nombre, doivent se replier sur la forteresse de Basse Terre où il publie sa fameuse déclaration. Je vous laisse la découvrir.

"C'est dans les plus beaux jours d'un siècle à jamais célèbre par le triomphe des lumières et de la philosophie, qu'une classe d'infortunés qu'on veut anéantir se voit obligée d'élever sa voix vers la postérité pour lui faire connaître,, lorsqu'elle aura disparu, son innocence et ses malheurs.

Victime de quelques individus altérés de sang, qui ont osé tromper le Gouvernement français, une foule de citoyens, toujours fidèle. la patrie, se voit enveloppée dans une proscription méditée par l'auteur de tous ses maux. Le général Richepance, dont nous ne connaissons pas l'étendue des pouvoirs, puisqu'il ne s'annonce que comme général d'armée, ne nous a encore fait ~ connaître son arrivée que par une proclamation, dont les expressions sont si bien mesurées, que, lors même qu'il promet protection, il pourrait nous donner la mort, sans s'écarter des termes dont il se sert. A ce style, nous avons reconnu l'influence du contre-amiral Lacrosse, qui nous a juré une haine éternelle . . .

Oui, nous aimons croire que le général Richepance, lui aussi, a été trompé par cet homme perfide, qui sait employer également les poignards et la calomnie. Quels sont les coups d'autorité dont on nous menace ? Veut-on diriger contre nous les baïonnettes de ces braves militaires, dont nous aimions calculer le moment de l'arrivée, et qui naguère ne les dirigeaient que contre les ennemis de la République ? Ah ! plutôt, si nous en croyons les coups d'autorité déjà frappés au Port-de-la-Liberté, le système d'une mort lente dans les cachots continue à être suivi. Eh bien ! nous choisissons de mourir plus promptement.

Osons le dire, les maximes de la tyrannie la plus atroce sont surpassées aujourd'hui. Nos anciens tyrans permettaient a un maître d'affranchir son esclave, et tout nous annonce que, dans le siècle de la philosophie, il existe des hommes, malheureusement trop puissants par leur éloignement de , l'autorité dont ils émanent, qui ne veulent voir d'hommes noirs ou tirant leur origine de cette couleur, que dans les fers de l'esclavage. Et vous, Premier Consul de la République, vous guerrier philosophe de qui nous attendions la justice qui nous était due, pourquoi faut-il que nous ayons à déplorer notre éloignement du foyer d'où partent les a conceptions sublimes que vous nous avez si souvent fait admirer !

Ah ! sans doute un jour vous connaîtrez notre innocence ; mais il ne sera plus temps, et des pervers auront déjà profité des calomnies qu'ils ont prodiguées contre nous pour consommer notre ruine. Citoyens de la Guadeloupe, vous dont la différence de l'épiderme est un titre suffisant pour ne point craindre les vengeances dont on nous menace, â moins qu'on ne veuille vous faire un crime de n'avoir pas dirigé vos armes contre nous, ~ vous avez entendu les motifs qui ont excité notre indignation.

La résistance â l'oppression est un droit naturel. La divinité même ne peut être offensée que nous défendions notre cause ; elle est celle de la justice et de l'humanité : nous ne la souillerons pas par l'ombre même du crime. Oui, nous sommes résolus à nous tenir sur une juste défensive ; mais nous ne deviendrons jamais les agresseurs. Pour vous, restez dans vos foyers ; ne craignez rien de notre part. Nous vous jurons solennellement de respecter vos femmes, vos enfants, vos propriétés, et d'employer tous nos moyens à les faire respecter par tous. Et toi, postérité ! accorde une larme à nos malheurs et nous mourrons satisfaits."

Le commandant de la Basse-Terre,

Louis DELGRES.


Assiégé et à court de munitions, il doit s'échapper de la forteresse et se réfugier au pied de la soufrière à Matouba sur la commune de Saint Claude pour attendre des renforts de Pointe à Pitre qui n'arriveront jamais.
De nouveau encerclé, plutôt que de moisir dans une geôle ou d'être fusilier, Delgrès et ses 300 derniers hommes préfèrent se faire exploser avec ce qu'il leur reste de poudre à l'approche des premiers soldats de Richepanse au cri de "Vivre libre ou mourir!"
Le sacrifie suprême pour la liberté. C'est bô. Une belle page d'histoire malheureusement méconnue.
Une révolte similaire dirigée par Toussaint Louverture se déroula à Haïti. Le corps expéditionnaire fut décimée par une épidémie et la révolte fut victorieuse. Le destin d'Haïti se sépara de la France, pour le meilleur et surtout pour le pire.

Le fort Delgrès est le monument historique principale de Basse Terre. Cet ouvrage militaire est fort mal conçu pour résister à un siège car construit perpendiculairement à la mer et donc vulnérable à des tirs d'enfilade. Depuis la terre, il est aisément bombardable depuis le morne Houelmont, lieu où je travaille actuellement et qui surplombe Basse Terre. Résultat: à une exception près, le Fort dû être évacué à chaque siège de nos meilleurs ennemis les Anglais. Vive l'armée française!En 1976, suite à l'éruption phréatique de la Soufrière, le observatoire volcanologique de la Soufrière s'installa dans les murs du fort pour "s'abriter" des nuées ardentes puis en 2002, en l'honneur de ce héros de la liberté, le fort pris le nom de fort Delgrès
Et moi dans tout ça me direz vous? Ba il est très difficile de quitter un ancien amour (...). Me voici l'histoire d'un jour archéologue dans les douves de la forteresse pour la DRAC. On a trouvé un mur de fortification enterré et accessoirement une ligne haute tension 20.000 Volts enterré et non signalé qu'on a failli arraché: pas besoin d'aller très loin pour trouver l'aventure, fouille à haute tension...

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