28 février 2010

Port au Prince, année zero


12 Janvier 2010 à 16h53 heure locale alors que les élèves et les employés vaquent toujours à leurs occupations, un terrible séisme de magnitude 7,3 frappe Haiti, le pays le plus pauvre du continent américain. L’épicentre est situé aux portes Sud de la ville et a une faible profondeur. Autant dire que ça fait mal….
A ce jour, mon compte plus de 300 000 personnes mis en terre dans les fosses communes. Pour une population estimée à 9 000 000 d’habitants, cela représente en quelques minutes la perte de près de 3,5 % de la population. A titre de comparaison, cela représente approximativement le même pourcentage de perte que celles engendrées par la 1ère guerre mondiale sur la population Française.
J’arrive sur place 5 semaines plus tard, depuis la république dominicaine, parmi les touristes. On sent quand même là bas que l’on est dans un pays en développement et que la violence est omniprésente. ACF, mon ONG, a une base logistique à Santo Domingo car l’aéroport de Port au prince est saturé. Bien pratique pour faire venir du matériel aussi. Petit détail, les dominicains parlent espagnol et… ba c’est tout.
J’embarque sur un avion du programme alimentaire mondial pour Port au Prince, avec tout un tas de travailleurs humanitaires…des vrais et des « touristes » habillés de la tête au pied aux couleurs de leur organisation ou de leur église et plus occupé à se prendre en photo.
Survol du Sud de haiti. A altitude moyenne, pas de véritables traces du tremblement de terre. En s’approchant de Port au prince, les glissements de terrain sont de plus en plus visibles.
Au survol de la ville, plein de taches bleu …. Une nouvelle espèce de champignons… les bâches et les villages de tentes. Bienvenue à Port au Prince !

Je débarque…accueilli par des logisticiens, des Log dans le jargon humanitaire. Première approche un peu spéciale. Ils m’adressent à peine la parole. J’ai un peu l’impression d’être avec des cow-boys. Ils se révèleront très sympa pas la suite.
Défilé de voitures blanches blindées des UN (united nations ou nations unies). J’ai l’impression d’être dans un état en guerre. A la sortie, des types dans la rue qui vendent de l’artisanat « local ». Tiens j’ai quitté l’Afrique pour…l’Afrique. J’avance dans mon raisonnement : je suis dans un pays d’afrique qui sort d’une situation de guerre. L'armée américaine est omniprésente.
Premières impression: quelques murs effondrés mais finalement ça n’a pas l’air si détruit. M’aurait on menti ? Je m’avance dans la ville et je comprends mon erreur.
Maison dont le rez de chaussée a été applati comme une crêpe
Les dégâts sont très variables d’un quartier à l’autre. Je me souviens du temps où j’étudiais ces problèmes au service géologique de Guadeloupe. La nature du sol amplifie ou atténue fortement les tremblements de terre. En voici encore une démonstration. Uronie de l’histoire, ce sont les bâtiments en dur (école, ministère, présidence, agence de développement…) qui se sont effondrés. Une génération d'écoliers sacrifiée. Les centres de décision décapités. Des règles élémentaires du génie civil non respectées. Un témoin m'a dit que sur les bureaux d'ACF qui se sont éffondrés, un pilier porteur ne comportait qu'un seul fer à béton... Pire, tout l'habitat de fortune (bidonvilles de cité soleil, etc...) a tenu ou a facilement été remonté. Le bois est un matériel souple qui travail bien en cas de tremblement de terre. Grande vainqueur de l'opération: les bidonvilles qui se sont étendus jusqu'au parc du centre ville.
We need help.... ces panneaux fleurissent un peu partout. En anglais dans le texte pour capter les généreux donateurs anglo-saxon. Le pays s'est visiblement fortement habitué de longue date à dépendre de l'aide extérieure: aide humanitaire et aide de leurs compatriotes exilés à l'étranger, notamment aux Etats Unis, et qui envoient régulièrement leurs maigres économies.
En ville certains batiments sont écrasés comme des crêpes, quelques uns se sont renversés comme des dominos.
Un collègue m'a décrit l'écrasement de son étage. Il a eu la présence d'esprit de s'éjecter par le balcon. A 1 m près, c'était la mort assurée.2 réactions: l'effondrement psychologique ou la suractivité, se sentir pleinement en vie. Alléluia!
Les bureaux de ACF se sont effondrés. Tout le monde s'est réfugié dans la résidence des volontaires, une villa alors surdimensionnée pour les 4 volontaires présents mais aujourd'hui largement sous-dimensionnés pour les 40 volontaires arrivés en renfort. Le jardin est devenu un vaste camping. Une bonne partie des travaux de bureau se réalise sous des tentes
La piscine.... devenue dans les premiers temps du tremblement de terre une réserve d'eau. Elle retourne petit à petit à sa vocation première: foutre les volontaires à la flotte pour se déstresser.
L'organisation: en résumé un sacré foutou joyeux bordel. Tout le monde la tête dans le guidon mais finalement à mon avis une productivité faible. Pas moyen d'avoir un sérieux briefing sinon le soir devant une bière.
Le profite du peu de temps que j'ai pour aider l'équipe du water supply. Je pars diagnostiquer une source en banlieue. Les gens se crèvent à récupérer misérablement un filet d'eau d'un petite source coulant le long d'une falaise. Je discute avec eux et je constate que cette situation à 2 pas de la ville était antérieur au tremblement de terre. Beaucoup de chose à faire sur cette terre maudite...
Je regrette ne pas avoir été affecté sur le tremblement de terre à Port au Prince, de bénéficier de cette excitation de se sentir utile, entouré de charmantes volontaires, ce qui ne gate rien....
Haiti est un pays qui a rompu trop précocément son cordon ombilical avec la France. C'est pourtant bien au pays frère, si proche de Guadeloupe sous de nombreux aspects. Il ne faut pas laisser ce pays dans le cauchemar et la malédiction. Regardez la devise inscripte sur la devise locale, la gourde haïtienne. Liberté, égalité, fraternité... ça ne vous rappelle pas quelques chose?

Il est temps pour moi de quitter la ville sinistré pour le Nord du pays: Port de Paix et ma mission bricolage bancale... à la prochaine les zamis.