11 novembre 2015

Au porte du Mordor, rien a signaler, tout est calme...


Je croyais en m'embarquant
A bord de la Carmeline
Faire un voyage d'agrément
De Bordeaux jusqu’à la Chine
Mais je me suis baisé a fond
La barque n'est qu'une sabine
Mais je me suis baisé a fond
La barque n'est qu'un ponton...

Depuis 2011 et les printemps arabes, la Syrie vit une terrible guerre civile qui a brutalement débordé a l'été 2014 sur l'Irak avec comme point d'orgue la prise de Mossoul dans un pays rongé par la corruption et les clivages ethnico-religieux (Chiite - groupe dominant politiquement et militairement, sunnites, kurdes principalement... ). Une personne de mon staff ayant vécu la prise de Mossoul, ville de 4 millions d'habitants a l'époque, m'a raconté que la prise de la ville s'est faite presque sans combat. Le Mordor déployait son ombre. Cette prise de Mossoul est la parfaite illustration de la supériorité d'une milice motivée sur une armée corrompue et non attaché au territoire et a sa population mais plutôt au contrôle de richesses, ici des puits de pétrole (Certains dans ce pays prient pour que Dieu leur enlève du sous sol ce maudit or noir).
Torchère d'un puits de pétrole proche de Dohuk

Au moment de l'invasion, seul la milice kurde, les peshmergas, avait réussi a contenir, bon gré, mal gré, l'avancée islamiste.
Passablement désabusé par les requins gravitant dans un monde minier en pleine récession, je décide d'aller voir comment je pourrais apporter mon aide et je suis envoyé par une ONG française au Nord Est du Kurdistan a Dohuk environ 9 mois après l'invasion et alors que les réfugiés syriens et que la plupart des déplacés irakiens sont déja installés dans des camps.
La destination fait un peu peur a priori avec les assassinats en série d'occidentaux et notamment d'humanitaires. Dohuk n'est qu'a 35 km de la ligne de front.
Pourtant en arrivant au Kurdistan, aucune impression dans l'immédiat d’être dans un pays en guerre. Aéroport plus moderne qu'a Paris, chantier un peu partout (route, bâtiments...), grande galerie commerciale, supermarché Carrefour récemment inauguré... Même les mentalités ne sont pas si conservatrices. Certes dans beaucoup de lieux publiques, il y a une ségrégation de fait entre hommes et femmes mais les femmes s'habillent a l'occidental, se maquillent (massivement) mais les pesanteurs sociale semblent faibles, du moins en  apparence. Les gens rêvent de grosse voiture, de villas: le rêve américain et la société de consommation a la mode moyenne-orientale. L'enfant est roi et les parcs d'attraction ont fleuri un peu partout.
Bref une image bien différente de celle décrite par les médias pour un pays en guerre.

En haut, Dream City, un des nombreux parc d'attraction autour de Dohuk, en bas, le Carrefour fraîchement inauguré.

Et pourtant, et pourtant... a 35 km de la se passent ou se sont passés des choses franchement horribles dont les principales victimes sont toutes les minorités non arabo-sunnites et notamment les Yazidis.
Les yazidis ont une religion monothéisme vénérant un dieu associé au soleil. Ils prient en s'orientant face au soleil, leur tradition est essentiellement orale. Certaines de leur coutumes sont assez étranges. Il n'est pas possible pas exemple de marier n'importe qui. Son partenaire doit impérativement etre issues d'une autre tribu spécifiée par un code. C'est si spécifique que nombreux sont ceux qui ne peuvent pas se marier. Ils pensent que le jour de leur mort, ils seront tous envoyés en jugement devant leur Dieu et que ce Dieu pourra reconnaître les péchés des hommes par les taches bleues sur le corps. C'est pourquoi le bleu est pour eux une couleur impure et lorsque vous installez des robinets avec des gaines bleues, ils s'empressent de les enlever.

 
En haut, un graffitis sur une tente d'un camp commémorant l'attaque de Sinjar et les massacres qui ont suivi. En bas le sanctuaire Yazidi de Lalesh et l'architecture typique de ses tours.

Or donc que diable suis je aller faire dans cette galere? l'ONG qui m’emploie fourni une aide aux populations déplacées ou réfugiées au Kurdistan Irakien. En quoi consiste cette aide?
Elle prend différentes formes depuis la distribution alimentaire en partenariat avec les grandes organisations internationales (Plan alimentaire mondial, etc...), a la santé mentale des populations traumatisées, et pour ce qui me concerne l'eau et l'assainissement des camps et squats de réfugiés.
Mais pourquoi des ONGs sont elles nécessaires dans ces pays ou les états sont développés et riches d'autant plus que les budgets d'investissements des ONG sont relativement faibles?
Le Kurdistan est un pays (pardon une région autonome) en guerre contre Daesh et en conflit latent avec le gouvernement central irakien. L'effondrement des cours du pétrole, principale source de revenus, a rendu les finances publiques très fragiles avec des fonctionnaires, en sur-numéraires, payés avec plusieurs mois de retard (quand ils sont payés...),  La priorité n'est pas forcément d'aider les réfugiés, surtout s'ils sont non Kurdes. Il espère aussi, soyons honnête, que des ONG ou des gouvernements étrangers financeront au moins partiellement l'aide vitale si la situation devenait catastrophique. Ce que le gouvernement de la région autonome veut absolument éviter, c'est l'installation de population arabe dans les territoires kurdes ou revendiqués kurdes notamment dans l'optique de référendum pour l'indépendance. Le gouvernement a donc créé une sorte de zone tampon (ou zones disputées) entre le Kurdistan homogène et la ligne de front. De ces zones disputées ne peuvent s'extraire que les populations non arabes sunnites après contrôle de la police secrète Asayish. Une ONG a donc a devoir d'advocacy, c'est a dire un devoir de dénoncer des situations injustes et de protéger les minorités défavorisées, même dans les pays "ami".

Je m'installe a Dohuk, une ville d'environ 300 000 habitants. Apres la chute du dictateur Saddam Hussein en 2003, la ville a cru très rapidement. Elle est sertie entre 2 montagnes dans la vallée d'un petit affluent du fleuve Tigre. C'est un refuge kurde au porte des montagnes, plus agréable et frais qu'Erbil la capitale.
Vue sur le centre ville de Dohuk

Le barrage, havre de fraîcheur en été

Drapeau peint au sommet des montagnes entourant Dohuk et votre serviteur pour l'observer au plus proche

Ma zone de travail est le district de Zakho, a quelques kilomètres des frontières Syriennes et Turques. La zone est réputée sure. Je travaille dans 3 camps pour environ 45 000 réfugiés irakiens sur les thématiques de l'eau (gestion de la quantité et de la qualité d'eau disponible), de l'assainissement (gestion des eaux usées et des déchets solides) et hygiene (sensibilisation aux bonnes pratiques pour prévenir les maladies). Ces camps, officiels ou non, ont des problématiques très différentes.
  • Chamisku est un gros camp d'environ 25 000 personnes en bordure de Zakho city. Les résidents habitent des tentes ou il fait particulièrement chaud en été et ou l'hiver, on patauge dans la boue. Le camp a été monté a la va vite par des entreprises liées au gouvernement local avec de nombreux mauvais dimensionnements et de malfaçons. Certains secteurs du camp ne recevaient que 20 L/pers/j et par jour alors que la norme est de 35 L/pers/j minimum, situation liée en partie a une mauvaise gestion des pompes. Pire les eaux grises (eaux usées) et les eaux noires (eaux souillées) se mélangeaient et allaient saturer rapidement les fosses sceptiques non drainées qui elles même débordaient en pleines rues, entraînant des surcoûts de vidange de fosse payée a prix d'or et des risques sanitaires en tant que vecteur de maladie. Chamisku, c'était aussi donner de bon petits coups de marteau de géologue sur les prestataires mafieux qui s'étaient appropriés ce gâteau bien sucré et ca c'est bien bon!
Vue du camp de Chamisku

Débordement des fosses sceptiques dans des caniveaux ou les enfants pouvaient joyeusement patauger dedans

Construction de puits d'infiltration des débordements d'eau souillée

Un peu de bon sens, une larme de plomberie, un brin de géologie, un soupçon d'hydrogéologie et hop le problème est résolu, Abracadabra!  :-)

  • Dalal city est un ensemble de 14 tours en construction et un groupe de maisons individuelles qui ont été squattés par environ 4000 réfugiés. Ils sont tolérés par les autorités et le propriétaire des lieux mais risquaient de se faire expulser a tout moment. En tant que squatteur, ils ne bénéficient de presque aucune aide du gouvernement et sont donc très dépendants des ONGs: distribution de produits d’hygiène, construction de latrines, construction de réseau eau, organisation de la collecte des déchets, sensibilisation aux bons pratiques d’hygiène et de conservation de l'eau. Le job principal a été le dimensionnement et la construction d'un réseau d'adduction d'eau pour assurer de manière pérenne de l'eau a moindre coût: Mais entre volte face des propriétaires ou des autorités, égoïsme de certains bénéficiaires qui voulaient réaliser des connexions sauvages et lourdeur administrative kafkaïenne couplée d'incompétences au sein de mon ONG, la tache s'est avérée pas si aisée. 


Dalal City: ses tours squattées et son réseau d'eau en construction

Le suppresseur sélectionné pour balancer l'eau sur plusieurs kilometres

Test d'arrivée d'eau entre 2 secteurs: abracadabar, et l'eau fut!

Je me souviens en Afrique faire des forages et voir l'explosion de joie des habitants lorsque l'eau jaillissait a coup de compresseur. En Irak, rien de tel alors que les efforts nécessaires pour arriver au résultat ont été au moins équivalents. Le niveau de vie originel des réfugiés/déplacés est bien supérieur a des pays en voie de développement. Ici avant la crise, l'état redistribuait (plus ou moins bien) la manne pétrolière. Ce service leur est donc du. D'ailleurs l'eau est quasiment gratuite a Dohuk et est très commun d'observer des habitants laver le trottoir a pleine eau, ce qui est passablement honteux alors que d'autres personnes, a quelques kilomètres de la, ont péniblement 20 L/pers/j.

Distribution de produit d'hygiene et enregistrement des bénéficiaires


Sensibilisation aux bonnes pratiques pour la conservation de l'eau

  • Qadiya est un camp environ 16 000 personnes situé a une quinzaine de kilomètres de la ville au pied d'un massif montagneux. La zone est plutôt jolie. C'est typiquement un camp de réfugiés que l'on pourrait 3 étoiles. Le camp est bien drainé et les habitants sont logés dans des containers aménagées et disposent d'un certain nombre d'infrastructures telles que des terrains de sport ou des centres culturels. Le problème de ce camp était principalement l'intermittence de l'alimentation en électricité (entraînant des coupures de pompe et donc des pénuries d'eau), le mauvais design du réseau d'adduction d'eau qui s'est construit en plusieurs étapes sans réflexion et enfin la grande distance des forages au camp (jusqu’à 2 km) empêchant leur bonne gestion au jour le jour et leur chloration. Un système de chloration centralisée au niveau du camp, une boucle by-pass sur le réseau d'adduction et des groupes électrogenes de secours, et ces problèmes ont globalement été résolus.
Le camp de Qadiya

Voici un bref aperçu des activités d'un chef de projet WASH (WAter Sanitation & Hygiene) en camp de réfugié. Une certaine fierté du travail accompli, un travail assez passionnante certes mais un peu plus complexe qu'il n'y parait.
Les acteurs sont nombreux: ONG diverses et variés (a orientation religieuse parfois marquée), administration (gouvernement irakien ou kurde), institutions (UNICEF, UNHCR...). L'ensemble est globalement mal coordonné, certains acteurs voulant faire la même chose que d'autres et arrivent sans concertation avec leur solution toute faite et parfois absurde alors même que d'autres acteurs peuvent peut être déjà travailler sur la même thématique. Cette situation est souvent liée aux volontés des bailleurs de fond qui veulent absolument financer un certain type d activité et manque de flexibilité quand les évaluations actualisée sont assez différentes de la proposition technique initiale.

La situation géopolitique est bien plus complexe que celles décrites par les médias. Le Kurdistan irakien contrôle le seul groupe armé qui a réussi a contenir l'invasion islamique a l'été 2014: c'est donc objectivement un allié de l'occident. Peut on pourtant parler de nation Kurde. Non, loin de la. Kurdes turques ne s'entendent avec les Kurdes Irakiens qui ne s'entendent pas avec les Kurdes syriens. Au Kurdistan, les hommes politiques sont attachés fortement a une terroir et le systeme est plus ou moins féodal. Barzani (PDK), l'actuel président du Kurdistan s'appuie sur la région de Dohuk alors que son opposant a la plein soutien de la région de Sulaymaniyah plus a l'Est. A la chute de Saddam Hussein, les rivalités avaient tournées en affrontements armés. La région kurde pousse vers l'indépendance et veut prendre le contrôle de la région pétrolifère de Kirkouk et tirer directement des bénéfices de cette rente, ce que bien sur le gouvernement central d'Irak veut éviter. Le Kurdistan exporte son pétrole vers la Turquie mais la Turquie garde l'argent dans ses banques car elle voit d'un très mauvais œil la création d'un état kurde. Bref un vrai théâtre de Vaudeville...
En Août 2015, la Turquie a soudainement arrêté son jeu duplice vis a vis de Daesh mais au lieu d'attaquer cet état islamique, elle s'est mise a bombarder les positions du PKK (rebelles kurdes turcs) dans les montagnes irakiennes a quelques kilomètres des certains des camps de réfugiés ou je travaillais. Barzani a alors juste très timidement condamner si qui est très clairement une violation territoriale.
Certains des employés de mon équipe étaient des réfugiés syriens. A l'ouverture de la base, les emplois humanitaires n'intéressaient pas les irakiens car les salaires étaient trop faibles comparés aux emplois du secteur pétrolier. De plus, il paraissait judicieux de fournir des revenus aux populations déplacées. La conjoncture s'est entre temps retournée et les emplois humanitaires sont devenus plus intéressants. Le Kurdistan a une police secrète que l'on appelle Asayish. Elle a le pouvoir de contrôler et valider les embauches, sous prétexte de vérifier les risques sécuritaires que représentent ces personnes. Des personnes sympathiques s'amusaient a dénoncer le personnel syrien kurde de mon équipe sous prétexte fallacieux afin de faire le vide ou de faire pression sur le personnel en place.
Au delà des problèmes géopolitiques que cela, comment dans ces conditions créer une nation kurde unifiée?
Mon équipe de travail au Kurdistan

Août 2015: L'Europe est en pleine crise migratoire, la pire depuis la 2e guerre mondiale. La guerre civile syrienne (et irakienne) dure depuis 4 ans déjà. Les habitants des zones de combat ont fui depuis bien longtemps. Plusieurs millions de syriens vivent dans des camps de réfugiés dans les pays limitrophes sans véritable possibilité économique. Une très forte communauté turque vit depuis longtemps en Allemagne, notamment de nombreux kurdes bien insérés. A cette date, Angela Merkel a appelé les réfugiés a venir en Allemagne, espérant surement montrer une face humaniste de l’Allemagne a l'international mais aussi plus pragmatiquement résoudre le problème démographique du pays et ajouter artificiellement quelques points de croissance économique. Pourquoi accepter les Syriens et pas les Érythréens ou des Somaliens qui vivent une situation au moins équivalente?
Durant de mois d’août, j'ai vu plusieurs de mes employés démissionner pour tenter l'aventure vers l'Europe et surtout l'Allemagne. Une sorte de phénomène a la Lemmings. Comme si tout d'un coup, tout le monde se donnait le mot pour marcher dans une seule et même direction.

Copie d'écran du jeu Lemmings

Le phénomène est assez impressionnant. Une sorte de grande marche vers le rêve allemand. Même mon adjoint, pourtant bien mieux payé qu'un expatrié, décide de partir.
Partir dans l'espoir de plus de liberté, dans l'espoir de meilleures conditions de vie, dans l'espoir de fuir la guerre ou tout simplement pour échapper au service militaire. Tout cela est bien compréhensif.

Pourtant partir, c'est aussi abandonner le terrain a Daesh. Capituler! Allemagne aujourd'hui pille les ressources humaines de ces pays qui ont investi dans leur éducation et leur santé. C'est donc rendre la situation plus difficile plus tard et laisser la place aux obscurantistes.
Je suis assez effrayé de la situation actuelle de l'Europe. Que cherche t on a faire en faisant venir massivement des étrangers alors que le marché de l'emploi est déja largement saturé? Dans toute l’Europe, on sent monter les partis politiques populistes... Bientôt se sera peut être le bruit des bottes.
Crise économique, mutation de la société et perte de repères, afflux d'émigrés... tous les ingrédients sont la pour appliquer le stratégie du choc de l'école de Chicago.
J'en frissonne et je suis moi-même perdu.
Bonne chance Kurdistan

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