03 avril 2012

Azawad libéré? Renouveau culturel ou nouvel Afghanistan?

Jusque dans les années 1990, les touaregs du Mali vivaient sous une chape de plomb imposée par la république du Mali depuis l'indépendance car les nomades avaient osés revendiqué un état séparé lors de la décolonisation en 1960. Mais Modibo Keita, le premier président de cette jeune république, ne le voyait pas comme ça: la république du Mali est "une et indivisible". La devise du Mali n'est il pas "Un peuple - Un but - Une foi". Le maréchal Pétain n'aurait peut être pas renié une telle devise.
Or le Mali est un état artificiel dont les frontières ont été tracées, tout comme pour beaucoup de pays en Afrique, au crayon sur des cartes d'état major. Ainsi Bamako est situé à 50 km de la Guinée et à plus de 1500 km de l'Algérie. Le peuple touareg est partagé entre 4 états: Mali, Niger, Algérie et Lybie. Les réalités économiques et rancunes historiques sont tout à fait conflictuelles... Un colonialisme bambara (Malien du Sud) avait succédé au colonialisme français. 
Vers 1990, des combattants touaregs ayant combattu pour la Lybie (déjà) sur des théâtres d'opération tel que le Tchad étaient démobilisés et revirent chez eux au Mali. Leur retour provoqua la 2e rebellion touareg faisant écho à celle de 1963.
Les rebelles de l'époque avaient le romantisme d'Ibrahim Ag Braibone de Tinariwen. Leur but était la libération culturelle et politique d'un peuple opprimé. Mais le mouvement s'était finalement divisé entre groupes tribaux et la promesse de quelques postes juteux à certains leaders ou notables par le Mali avait achevé la dislocation du mouvements
Une nouvelle rébellion touareg secoue le Nord de Mali depuis le 17 Janvier 2012. Nième ersatz de soubresaut de l'irrédentisme touareg? Une nouvelle copie de 1963, 1991 ou encore 2006? Non
Depuis 2003, les rapports de force ont changé. Les salafistes, devenu AQMI (Al Qaïda au Maghreb islamique), se sont infiltrés petits à petits dans la zone, opérant des kidnappings contre des occidentaux et amplifiant les trafics en tout genre jusqu'alors limités à du trafic de carburant et de denrées alimentaires. Surtout en 2011, avec la chute du colonel Khadafi en Lybie, un nombre important de militaires d'origine touareg sont revenus au pays avec leur armes et bagages.
Malgré le déversement de milliards de francs CFA, le développement économique du Nord ne s'est pas véritablement fait, cet argent étant dépensé dans des projets inutiles mais surtout "filtré" en frais de fonctionnement par les ministères, les services techniques incompétants et les cadres locaux...
Le gouvernement du Mali a reçu des sommes conséquentes pour lutter contre AQMI mais sur le terrain, rien n'était fait. Cet argent a probablement été également "filtré" et AQMI pouve librement circuler dans cette région, certes très difficile à contrôler.
Pire, des trafics de drogue de grande ampleur ont lieu en toute impunité à tel point que des complicités aux plus hauts niveaux de l'état sont probables. Quand j'étais dans la zone en 2009, je me rappelle l'histoire d'un Boeing chargé de cocaïne qui finit brûlé. J'ai même vu à Gao, une ville pauvre pourtant, circuler un Hummer de luxe...
Voila pour le contexte exécrable du Nord Mali.
La progression de cette rebellion a été fulgurante ces derniers jours. Après Tessalit où la résistance a été vive, Kidal, Gao et enfin Tombouctou sont tombés très rapidement. Il faut dire que l'armée malienne a été considérablement désorganisée par un coup d'état ridicule (le président en poste devait quitter le pouvoir 2 mois plus tard par un scrutin qui s’annonçait démocratique...).
Aujourd'hui les objectifs de guerre sont quasiment atteints et le drapeau de l'azawad, ci dessous, flotte sur les 3 ex-capitales régionales du Nord Mali.


Pourtant, je ne peux m'empêcher d'être pessimiste pour l'avenir de l'Azawad. Ces victoires rebelles ont largement été supportées par des groupes islamistes, notamment Ansar Dine. Ces derniers veulent établir un état islamique dans tout le Mali alors que les ambitions du MNLA (mouvement national de libération de l'Azawad) sont laïques et géographiquement limitées aux régions Nord. Déjà dans les villes libérés, semble t il, certains djihadistes essaient de mettre en place la charia, ce qui ne convient pas exactement à la culture touareg
L'Azawad n'est pas un territoire homogène. Les réalités économiques entre un riziculteur du fleuve Niger et un éleveur nomade des zones Sahariennes ne sont pas les mêmes. Les tribus et ethnies ne s'entendent pas forcément (Arabe, Songhay, Tamasheq...). Certains ont intérêt aux désordres, en premier lieu, les traficants de drogues (principalement....). Les cadres locaux ont été habitués à l'argent déversé et sont particulièrement corrompus.
Les cartes se sont subitement abattues sur la table. Les dés sont lancés et je ne sais pas comment l'Azawad va échapper à la guerre civile. Entre groupes ethniques, entre laïque et islamistes.
Je souhaite qu'une issue pacifique puisse voir le jour rapidement. L'indépendance me parait bien difficile dans la mesure où cela créerait un précédent important en Afrique et risquerait de déstabiliser les états limitrophes comme l'Algérie, la Lybie et surtout le Niger. La voie tracée par le Sud Soudan n'est d'ailleurs pas très encourageante. La boite de Pandore a t elle été ouverte?
Souhaitons que le MNLA puisse unir les peuples de l'Azawad, qu'il puisse s'entendre avec le Mali pour une autonomie véritable et qu'une véritable "guerre sainte" puisse permettre de chasser les islamistes d'AQMI, faute de quoi, l'Azawad risque de devenir un nouvel Afghanistan.
Tout est possible.


2 commentaires:

Anonyme a dit…

Bon ptit resume Jeje...
mais tu vas peut-etre pouvoir m'eclairer sur un point... c'est pas un peu pretentieux de vouloir creer un pays a partir d'une region ou les touaregs sont minoritaires ?

Je n'y suis pas et je ne peux pas juger, mais j'ai lu plusieurs fois que les Touaregs ne representaient que 10% de la population du Nord-Mali...

Elsa

Cyberjeje a dit…

Je ne pense pas que leur état est viable Elsa. Songhoy et Tamasheq ne s'entende pas bien (mais ne vivent pas dans le même milieu: l'éternel conflit éleveurs/agriculteurs).
D'après wiki, arabe, touareg et kounta (ethnie nomade) représente 10 % de la population du mali (Nord et Sud du pays), pour ce qui est de la proportion dans le Nord, moins peuplé, c'est plus de 50%. Je n'ai pas de chiffre mais ne crois pas trop les gens du Sud, impérialistes...